Pierre Gabaston

critic/essayist
France

Voted for

FilmYearDirector
Nanook of the North1922Robert Flaherty
Tabu A Story of the South Seas1931F.W. Murnau
The Searchers1956John Ford
Paisan1946Roberto Rossellini
Partie de campagne1936Jean Renoir
Pickpocket1959Robert Bresson
MOI, UN NOIR1959Jean Rouch
Pierrot le fou1965Jean-Luc Godard
Playtime1967Jacques Tati
Morocco1930Josef von Sternberg

Comments

Nanook of the North

1922 USA

Le premier poème métaphysique cinématographique. Silence, blancheur, infini se répondent.

Ecce Homo. Voici l'Homme debout luttant depuis des millénaires contre l'adversité et le découragement.

Flaherty arrive juste à temps pour remettre en scène, tant qu'il est temps, ce que furent les Inuits.

Passionnante course de vitesse. Je souligne aussi la beauté plastique de ce film.

[The first cinematic metaphysical poem. Silence, whiteness, infinity respond to each other.

Ecce Homo. Here is the Standing Man struggling for millennia against adversity and discouragement.

Flaherty arrives just in time to re-enact, while there is time, what the Inuit were like.

Exciting speed race. I also underline the plastic beauty of this film.]

Tabu A Story of the South Seas

1931 USA

A lui seul, peut-être, l'un des plus beaux films du Monde. Commencé par Flaherty (séquence d'ouverture).

Murnau devait ressourcer tous ses sens en s'éloignant de l'atmosphère viciée pour lui de Hollywood. Il pensait trouver une civilisation encore préservée des méfaits de la colonisation. Ce ne fut pas le cas.

Fin déchirante. Lumière panthéiste. Bouleversant.

[By itself, perhaps, one of the most beautiful films in the world. Started by Flaherty (opening sequence).

Murnau needed to revitalise all his senses by getting away from the vitiated atmosphere of Hollywood. He thought he would find a civilisation still preserved from the misdeeds of colonisation. It was not the case.

Heartbreaking end. Pantheistic light. Shocking.]

The Searchers

1956 USA

Le plus grand de tous les westerns. Envoûtant.

Il n'est, à tout prendre, que la projection mentale de Ethan Edwards qui se raconte une histoire (projection du film sur l'écran) qui justifie qu'il ne peut plus rester dans son ranch familial. Prodigieux.

Le film qui à lui seul combat les idées rances et racistes de l'extrême-droite.

Etre Américain, Anglais ou Français, ou Indien, n'est pas une affaire de sang mais relève d'un choix éthique.

[The greatest of all westerns. Captivating.

It is, all in all, only the mental projection of Ethan Edwards who tells himself a story (projection of the film on the screen) which justifies that he can no longer stay on his family ranch. Prodigious.

The film which alone combats the rancid and racist ideas of the extreme right.

To be American, English or French, or Indian, is not a matter of blood but is an ethical choice.]

Paisan

1946 Italy

Je reste encore comme André Bazin qui découvre le film à l'Ecole de la Chimie en 1948. Rossellini venait spécialement de Rome pour présenter son film. À l'issue de la projection, il se lève, veut parler, n'y arrive pas, étreint par l'émotion.

L'épisode de la plaine du Pô reste pour moi un des moments les plus palpitants de l'histoire du cinéma.

Une archéologie humaine s'établit devant nos yeux uniquement à travers l'œilleton d'une caméra perdue dans des marais. Qu'est-ce qui fonde une communauté ? Entre des morts (intégrés) et des vivants (exclus)

Prépare Les Carabiniers et une séquence de Alphaville de Godard.

De l'introduction des actualités (brûlantes) dans une fiction. On rebat les cartes. Inédit.

[…The episode of the Po plain remains for me one of the most thrilling moments in the history of cinema.

A human archeology is established before our eyes only through the eyepiece of a camera lost in the swamps…]

Partie de campagne

1936 France

Vive Renoir ! Où le conflit entre l'apollinien et le dionysiaque s'exalte comme jamais dans son œuvre.

Et puis... Sylvia Bataille !

De petits boutiquiers flaubertiens traversent un chef-d'œuvre du septième art. Vivement dimanche.

Le Loing, les rames, deux faunes, la sieste, la rive, la dérive, le Front Populaire.

Une fenêtre qui s'ouvre sur une escarpolette.

Hommage à tous les peintres impressionnistes.

Ode à la liberté (le thème cher entre tous à Renoir). Appel à la libération de tous nos sens.

Renoir poursuit son cheminement nonchalant à partir de la pensée d'Héraclite à laquelle ses meilleurs films doivent tant. C'était un anti-chrétien. Héraclite un pré-socratique. Source d'une philosophie matérialiste.

Pickpocket

1959 France

Le Cinématographe à son plus haut niveau d'exigence et de réussite.

Avec "Pickpocket", Bresson a trouvé, écrivait Louis Malle.

Et il m'a trouvé. L'un de mes films fétiches. Bresson creuse l'une des plus grandes solitudes au cinéma.

Martin LaSalle : le "modèle" de Bresson le plus pur (on ne l'avait jamais vu avant, magazines, films, théâtre,

on ne le reverra plus, pratiquement, par la suite).

"Pickpocket" et non "Le Pickpocket. Abstraction plastique sidérante.

Le peintre Pierre Charbonnier est le décorateur (et Pierre Guffroy son assistant).

L'ombre de Dostoïevski plane sur le film ("Crime et Châtiment").

Tourné en décor extérieur l'été 59 à Paris, en même temps que "À bout de souffle" et "Sous le signe du lion".

MOI, UN NOIR

1959 France

Je garde en mémoire mes premières impressions en le découvrant : la deuxième naissance du cinéma après les "vues" des opérateurs Lumière. Je fus bouleversé.

Totalement dionysiaque. Fascinant jeu de rôles.

La dernière séquence, le jeune Noir qui raconte comment son père l'a répudié à son retour de la guerre d'Indochine (perdue), en jouant au soldat héroïque qu'il n'a pas dû être : un des plus grands moments du cinéma français.

Film fétiche de Godard (c.f sa critique du film aux "Cahiers") qui comptait appeler "À bout de souffle" : "Moi, un Blanc".

Rouch se fait l'héritier direct de Flaherty. Voie directe.

Pierrot le fou

1965 France, Italy

Une explosion orgasmique cinématographique, en technicolor. Je veux parler de la pulvérisation du nombre de plans. Ici, Godard dialogue avec "Muriel" de Resnais (1963). Deux films limites dans leur carrière.

Un absolu que J.L.G ne retrouvera plus (il fera autre chose).

Si "Paris-Match" avait confié les quatre numéros de Août 1965 à Godard en tant que rédacteur-en-chef, cela aurait donné "Pierrot le fou".

Le cinéma, ici, coule dans les veines de Godard.

Déchirant son "filmage" de Anna Karina (ils venaient de divorcer). C'était Sylvie Vartan qui devait tourner à sa place (son agent ne prend pas au sérieux la demande de Godard de l'engager pour son film).

Playtime

1967 France

Honte à la France qui n'a pas voulu voir et comprendre "Playtime" à sa sortie. Trop long !

Ennuyeux ! Tati s'y montre un authentique génie.

C'est un film exceptionnel, qui ne ressemble à aucun autre film de l'histoire du cinéma.

Bien sûr, comique d'observation ! Mais son rythme, ses reprises, son crescendo, decrescendo, ses myriades de petites actions vues au vitriol par Tati. On est débordé. On reste soûlé de bonheur, de jouissance esthétique quand on suit plan par plan cet étourdissant ballet filmique.

On nous repasse une version écourtée maintenant (à la TV). C'est un scandale inadmissible.

On a tué ce film ! Car la version qui repasse sur le petit écran est.. restaurée.

Qui pourra nous monter à nouveau "Playtime" dans sa vraie version originale ?

HELP !

Morocco

1930 USA

Film-passion pour moi. Réalisateur et acteurs.

Film de feu. Homme fatal (en phallus ambulant Cooper ouvre la voie). Femme passionnelle (jusqu'où Dietrich pouvait-elle aller pour un homme? Horizon insondable de sa brûlure).

Je ne me lasse pas non plus de la lumière de Lee Garmes.

Hawks s'est souvenu du début du film pour son début de "Only Angels have Wings".

"What am I Bid for my Apple..."

[Film-passion for me. Director and actors.

Fire movie. Homme fatal (in walking phallus Cooper leads the way). Passionate woman (how far could Dietrich go for a man? Unfathomable horizon of her burn).

I also never tire of the light of Lee Garmes.

Hawks remembered the beginning of the film for his start of "Only Angels have Wings".

"What am I Bid for my Apple..."]

Further remarks

Oui, oui, je sais. Je n'ai pas oublié Chaplin ! Ah ! non.

Mais bon, dix films c'est une torture.

"L'Invraisemblable vérité" de Lang, non plus. Le film qui nous met au bord du néant méritait mieux dans mon classement.

J'ai réagi au gré de mes émotions, de mes chocs inoubliables quand je découvrai ce "top ten".

"Printemps tardif" (Ozu), "Eros + Massacre" (Yoshida), "L'Intendant Sansho" et "La Rue de la honte"(Mizoguchi), "L'Innocent (Visconti) piaffent sur le banc des remplaçants.

Seulement, voilà : ce choix de dix films, avant tout, me ressemble.

Merci pour ce "Further remarks", il fait du bien.

[Yeah, yeah, i know. I haven't forgotten Chaplin! Ah! No.

But hey, ten films is torture.

Neither does Lang's "Unbelievable Truth". The film that puts us on the edge of nothingness deserved better in my ranking.

I reacted according to my emotions, my unforgettable shocks when I discovered this "top ten".

"Late Spring" (Ozu), "Eros + Massacre" (Yoshida), "The Intendant Sansho" and "The Street of Shame" (Mizoguchi), "The Innocent (Visconti) prancing about on the bench of substitutes.

Only, here it is: this choice of ten films, above all, resembles me.

Thank you for this "Further remarks", it feels good.]